Dévoiler l'invisible : James Chadwick et la révolution des neutrons
Le 20 octobre marque l'anniversaire de James Chadwick, le premier physicien qui fit la découverte du neutron. Nous rendons ici hommage au lauréat du prix Nobel de physique 1935, dont les travaux novateurs ont révolutionné notre compréhension des atomes et ouvert la voie à des avancées significatives dans le domaine de la science et de la technologie nucléaires.
Combler un vide : la quête d'une particule neutre
Après la découverte de la structure quantique du noyau, on a d'abord pensé que le noyau était constitué uniquement de protons. Cependant, les divergences de masse et de charge laissaient supposer l'existence d'une autre composante. Si la présence d'électrons de cœur eut été initialement avancée, elle fut exclue rapidement par le principe d'indétermination.
Théories initiales et hypothèse de Rutherford
Ernest Rutherford, pionnier de la physique nucléaire, postula dès 1920 l'existence d'une particule neutre de masse comparable à celle du proton.
Les premières avancées significatives vers la découverte du neutron furent réalisées par Walther Bothe et son élève Herbert Becker. En 1930, ils observèrent un type de rayonnement à haute énergie inhabituel en bombardant du béryllium avec des particules alpha, qu'ils prirent d'abord pour des rayons gamma. Bien que ce "rayonnement de béryllium" montrât une capacité impressionnante à pénétrer la matière, son comportement souleva des questions quant à savoir s'il s'agissait bien de rayons gamma.
Nouvelles perspectives : les expériences de Joliot-Curie
Un an plus tard, d'autres expériences menées par Irène Joliot-Curie et Frédéric Joliot-Curie révélèrent que ce "rayonnement de béryllium" récemment observé ne produisait pas de courant significatif lors de son passage en chambre d'ionisation. Cependant, le fait de placer un matériau contenant de l'hydrogène, tel que du kérosène, devant la chambre augmentait considérablement le courant. Le binôme supposa donc que le rayonnement contribuait à la libération des protons du kérosène, qui ionisaient le gaz dans la chambre. Leurs observations des protons de recul dans une chambre de Wilson confirmèrent cette hypothèse. Après avoir envisagé l'effet Compton comme mécanisme possible, ils réalisèrent finalement que l'énergie gamma nécessaire serait trop élevée pour produire les trajectoires de protons observées.
Chadwick redéfinit la théorie atomique avec la découverte du neutron
S'appuyant sur ces résultats, James Chadwick mena des expériences qui réfutèrent de manière concluante la thèse de Walther Bothe, démontrant que le "rayonnement de béryllium" n'était pas constitué de rayons gamma. En mesurant l'élan et l'énergie des particules produites lors du bombardement du béryllium par des particules alpha, il put montrer que le rayonnement était en fait un flux de particules électriquement neutres se déplaçant rapidement et ayant une masse proche de celle d'un proton. Cette observation concordait avec l'hypothèse antérieure de Rutherford, conduisant ainsi Chadwick à nommer ces particules "neutrons".
Changement de paradigme en physique des particules
La découverte de Chadwick représenta moment charnière dans le monde de la physique des particules. Elle permit de mieux comprendre la structure atomique : le noyau atomique, composé de protons et de neutrons, est enveloppé d'une couche électronique. Dans un atome électriquement neutre, le nombre d'électrons chargés négativement dans la couche électronique correspond exactement au nombre de protons chargés positivement dans le noyau, tandis que le nombre de neutrons dans le noyau peut varier.
Ces travaux novateurs valurent à James Chadwick le prix Nobel de physique en 1935.
Une découverte aux conséquences considérables
Les travaux de Chadwick eurent des conséquences profondes et immédiates. Contrairement aux protons et aux particules alpha, qui se heurtent à la barrière coulombienne, les neutrons peuvent pénétrer dans les noyaux atomiques même à faible vitesse, ouvrant de nouvelles perspectives de recherche. Il s'en suivit une vague d'enthousiasme parmi les physiciens des particules qui les incita à explorer les effets de ce "nouveau" rayonnement sur divers matériaux. En 1942, Enrico Fermi franchit une étape décisive en construisant la première réaction en chaîne de fission nucléaire auto-entretenue et maîtrisée (Chicago Pile-1).
La fission nucléaire, ou processus de séparation des noyaux atomiques, a permis un large éventail d'applications, tant civiles que militaires :
- La production d'électricité dans les centrales nucléaires est une source d'énergie propre et fiable qui contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
- En médecine, la fission nucléaire peut être utilisée pour produire des isotopes pour l'imagerie diagnostique et les traitements contre le cancer.
- Les isotopes sont également utilisés pour des applications industrielles, telles que la stérilisation des équipements médicaux et des aliments, ou à des fins de recherche.
- D'autre part, les conséquences dévastatrices des bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale ont stimulé les efforts internationaux visant à contrôler la prolifération des armes nucléaires et à empêcher leur utilisation future dans des conflits.
La physique neutronique est une pierre angulaire de la physique moderne, car elle fournit des informations essentielles sur les éléments fondamentaux de la matière et les forces qui régissent leurs interactions. Les caractéristiques uniques des neutrons permettent aux scientifiques d'étudier en détail la structure interne des matériaux, ce qui conduit à des avancées dans de multiples domaines tels que la physique de la matière condensée, la science des matériaux et les nanotechnologies.
Charlie Briggs, ingénieur en science des matériaux chez Goodfellow, explique :
"Cette découverte a comblé une lacune cruciale dans la compréhension de la structure atomique. Les modèles précédents ne pouvaient pas expliquer certains comportements atomiques, tels que l'existence d'isotopes et l'écart de masse entre les éléments les plus lourds. À l'avenir, les neutrons joueront un rôle crucial dans la recherche sur la fusion nucléaire, qui vise à s'imposer comme une source d'énergie durable et puissante." |
Les neutrons dans l'univers :
étoiles à neutrons et pulsars
Les neutrons jouent un rôle crucial dans le cycle de vie des étoiles à neutrons et des pulsars :
Lorsqu'une étoile massive épuise son combustible nucléaire, elle peut exploser en supernova, laissant derrière elle un noyau dense. Si la masse de ce noyau est comprise entre 1,4 et 3 fois celle du Soleil, il s'effondre en étoile à neutrons. Dans cet état, les protons et les électrons se combinent pour former des neutrons, ce qui donne un objet incroyablement dense composé presque exclusivement de neutrons. Les étoiles à neutrons sont incroyablement compactes, avec un rayon d'environ 10 kilomètres, mais contenant plus de masse que le Soleil.
Les pulsars sont des étoiles à neutrons qui émettent des faisceaux de rayonnement électromagnétique à partir de leurs pôles magnétiques. Lorsque l'étoile à neutrons est en rotation, ces faisceaux balayent l'espace et, s'ils pointent vers la Terre, peuvent être détectés comme des impulsions régulières de rayonnement, d'où le nom de "pulsar". L'étude des étoiles à neutrons et des pulsars fournit des informations précieuses sur le comportement de la matière dans des conditions extrêmes, sur la nature des champs gravitationnels et sur les propriétés fondamentales des neutrons.
Sources:
- Possible Existence of a Neutron | Nature
- James Chadwick and the Neutron | ChemTalk (chemistrytalk.org)
- 80 years since discovery of the neutron - News - University of Liverpool
- The discovery of the neutron and its consequences (1930–1940) - ScienceDirect
- This Month in Physics History | American Physical Society (aps.org)